jeudi 27 août 2015

Histoire d'A(narchie) : à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses soumissions


 " Je terminai mon verre, m'en resservis un troisième. Par la baie vitrée, je voyais le soleil se coucher sur les arènes ; le silence devenait un peu embarrassant. Bon, il voulait jouer cartes sur tables, après tout moi aussi.
" Il y a une condition, quand même..." dis-je prudemment. " Une condition qui n'est pas anodine..."
Il hocha lentement la tête.
" Vous pensez... Vous pensez que je suis quelqu'un qui pourrait se convertir à l'islam ? "
Il pencha la tête vers le bas, comme s'il s'abîmait dans d'intenses réflexions personnelles ; puis, relevant son regard vers moi, il répondit : " Oui ".
L'instant d'après il me refit son grand sourire lumineux, candide. C'était la deuxième fois que j'y avais droit, le choc fut un peu moins fort ; mais, quand même, son sourire restait terriblement efficace. En tout cas, maintenant, c'était à lui de parler. J'avalai coup sur coup deux pâtés, maintenant tièdes. Le soleil disparut derrière les gradins, la nuit envahit les arènes ; il était étonnant de penser que des combats de gladiateurs et de fauves avaient réellement eu lieu ici, quelque deux mille ans auparavant.
" Vous n'êtes pas catholique, ce qui aurait pu constituer un obstacle..." reprit-il doucement.
Non, en effet ; ça on ne pouvait pas dire.
" Et je ne pense pas non plus que vous soyez véritablement athée. Les vrais athées, au fond, sont rares.
- Vous croyez ? J'avais l'impression, au contraire, que l'athéisme était universellement répandu dans le monde occidental.
- À mon avis, c'est superficiel. Les seuls vrais athées que j'ai rencontrés étaient des révoltés ; ils ne se contentaient pas de constater froidement la non-existence de Dieu, ils refusaient cette existence, à la manière de Bakounine : " Et même si Dieu existait, il faudrait s'en débarrasser...", enfin c'étaient des athées à la Kirilov, ils rejetaient Dieu parce qu'ils voulaient mettre l'homme à sa place, ils étaient humanistes, ils se faisaient une haute idée de la liberté humaine, de la dignité humaine. Je suppose que vous ne vous reconnaissez pas non plus, dans ce portrait ? "
Non, là non plus, en effet ; rien que le mot d'humanisme me donnait légèrement envie de vomir, mais c'était peut-être les pâtés chauds aussi, j'avais abusé ; je repris un verre de Meursault pour faire passer. "

(Michel Houellebecq, Soumission, p. 250)

***

Il est navrant, mais symptomatique de l'époque formidable que nous traversons, de découvrir sous la plume d'un Houellebecq jouant les visionnaires, ce que nombre d'anarchistes semblent avoir oublié : on ne badine pas avec le " Tout-puissant " : on s'en remet à lui ou on lui pisse à la raie.
Il ne suffit pas de ne pas l'avoir trouvé dans Bonux pour être convaincu qu'il n'existe pas, les sceptiques ne sont pas plus athées qu'un saint-Thomas. Quant aux tolérants qui pensent que chacun fait-fait-fait ce qui lui plaît-plaît-plaît, ou ce qu'il peut-peut-peut avec sa culture et ses traditions, et qu'au final on se retrouvera tous-unis-dans-la-lu-lutte, ils se fourrent le doigt vengeur de " Dieu "  dans l'œil. On ne retrouvera jamais la moindre grenouille de bénitier et autres adeptes du textile sombre et enveloppant dans un combat visant à détruire le monde marchand pour placer la réalisation de l'Homme au cœur des préoccupations. Tout simplement parce qu'ils s'accommodent très bien de la marchandise et qu'ils se tapent de l'homme, sans parler de la femme.
Pour nous, c'est maintenant ou jamais que ça se joue, que ça se vit. 
Pour eux, la soumission pendant la vie leur ouvre les portes du paradis.
C'est pourtant simple, bordel ! si même Houellebecq l'a compris !..


samedi 22 août 2015

On n'éjacule pas dans la soupe...


" Le sexe bien fait enrichit la sensibilité esthétique, le sexe mal fait l'intelligence spéculative, et donc les changements de carrière. D'une façon comme d'une autre, ça vaut la peine.
On ne peut attendre que la ruine et la destruction civile de quelqu'un qui, joueur mais démagogue, interdirait la liberté sexuelle si ce n'est dans le but de renforcer son caractère dévastateur et révolutionnaire. Humilier le sexe pour l'humilier vraiment est une constante de tous les systèmes, capitalistes et socialistes, pour canaliser des énergies qui seraient dangereuses si elles étaient employées à contrôler les hiatus idéologiques réels entre les intentions et les résultats, entre les promesses faites et les promesses tenues, entre les programmes et la réalité des faits. Le système, où qu'il soit, récompense les chastes et les transforme en castes - cf. le grand nombre d'homosexuels refoulés au pouvoir. Dans l'optique du pouvoir, celui qui a des préoccupations sexuelles excessives (et la chasteté en est une) fonctionne juste assez pour qu'on puisse l'arrêter à n'importe quel moment et le renvoyer à son point de départ. L'organisation politique, n'ayant rien à craindre de sexuels frustrés, a tout à gagner en les utilisant. Une lesbienne frustrée ou une tapette refoulée peuvent gagner des milliards ou devenir premier ministre ou grand commis de quelque chose - ou continuer, d'ailleurs, à souffrir de la faim en repus - mais jamais ils n'invalideront le système qui les a intégrés, non pas, comme ils le croient, malgré mais grâce à leur vice négociable, et, neurasthéniques bien évidemment, ils doivent dépenser toute leur énergie pour conquérir comme un privilège ce qu'ils n'ont pas été capables d'imposer comme un droit naturel : le fait d'être eux-mêmes, autrement dit, la sérénité comme authentique passion politique. Ce sont les homocrates classiques ressuscités par l'enculade oligarchique indirecte. "

(Aldo Busi, Sodomie en corps onze)