dimanche 25 février 2018

Bon vent !



Difficile de faire de beaux rêves dans un monde cauchemardesque. Certains y parviennent en dormant du sommeil de l'injuste et d'autres veillent, craignant quelque nouveau mauvais coup né du moindre endormissement. Ainsi l'insomnie a du bon : se donnant le temps de la réflexion, elle méprise le Marchand de sable et autres commerçants, ne croit pas au Père Noël et, poursuivant sa haine du patriarcat, elle ne croit pas non plus en Dieu. Les 144 raisons de vomir toutes les religions, égrainées au fil d'un petit recueil de 63 pages, paru ce mois-ci chez L'insomniaque Éditeur, ont de quoi réchauffer le coeur. Lilith propose de compléter l'ouvrage à l'infini, pour repousser le daron jusqu'au bout du ciel et apporte sa contribution : raison n°145 : "Celui qui pense avec difficulté, croit avec empressement" (Ambroise Bierce, Épigrammes).

mercredi 14 février 2018

L'amour est un oiseau rebelle...

(Guillaume Pujolle, La loi des rebelles, 8 mars 1939)

... qui n'a jamais connu de loi

Guillaume Pujolle (1883-1971), "présenté comme rebelle à toute forme d'autorité", est entré en hôpital psychiatrique le 9 juin 1926, à 43 ans, pour ne plus jamais en ressortir. Ses premières oeuvres datent de 1935, après neuf ans d'internement, mais il semble avoir brusquement cessé de peindre vers 1947, alors qu'il compte 54 printemps. Depuis l'enfer(mement) de son quotidien, il puisa son inspiration dans des photographies, reproductions de tableaux et autres images, trouvées sur place et propres à nourrir son imagination. Sa technique, à l'égal de sa vie, est on ne peut plus hospitalière : de l'encre, des crayons de couleur, mais surtout du mercurochrome, de la teinture d'iode et toutes sortes de produits pharmaceutiques. Ses créations sont actuellement présentées – avec celles d'autres compagnons d'infortune – dans l'antre de la folie parisienne. L'endroit, au coeur de la glauquitude hivernale, peut paraître rebutant, mais le souffle de vie qui s'échappe de ses murs vaut, sans aucune hésitation le déplacement.

                               
                                     (Combat du Giaour et du Pacha, 10 janvier 1939)

Elle était une fois, Acte II, la collection de Sainte-Anne autour de 1950, jusqu'au 28 février 2018.

    (Le Cocq et Maître Loup, 6 novembre 1940)




dimanche 4 février 2018

Il n'y a pas de femmes frigides, il n'y a que des femmes mal-violées !...



Au moment, où, en Iran, des femmes accrochent leur voile au bout d'une pique comme  par le passé  furent brandies en France les têtes des aristos ; au moment où des femmes détournent le rôle marchand et débilitant des réseaux sociaux pour sortir de leur isolement, comme l'expérimentèrent en leur temps les insurgés du Chiapas qui se firent ainsi connaître du monde entier, nous assistons à une bataille rangée – par tribunes interposées – de tout ce que l'hexagone compte de féministes revendiquées, quand bien même ce que les unes défendent au nom du féminisme se révélerait l'exact contraire de ce que défendent les autres (voir l'article précédent : Où sont la femme ? Prélude à l'internationale féministe...)
D'un côté, il y aurait les vraies femmes libérées, ne craignant rien des hommes, et de l'autre, les bigotes, les peine-à-jouir, les "enfants à visages d'adultes" réclamant d'être protégés.
L'analyse socio-économique des signataires de la tribune défendant une "liberté d'importuner indispensable à la liberté sexuelle" révèle une parfaite adéquation entre leur statut dans la société et leur relation à la notion de faiblesse. Elles méprisent les femmes qui ne se remettent pas d'un viol, à l'instar de Catherine Millet regrettant beaucoup de "ne pas avoir été violée et donc n'avoir jamais pu témoigner que d'un viol, on s'en remet" (sic). Elles n'ont pas assez de mots de dédain à l'égard de celles qui vivent mal de s'être fait juter sur les fesses par un frotteur, en rentrant du boulot, alors que ce serait faire preuve de plus de conscience que d'envisager cela "comme l'expression d'une grande misère sexuelle, voire comme un non évènement"
Ces femmes, prétendument libérées, ne sont autres que des femmes bourgeoises libérales, pour qui la force, la volonté de vaincre et de dominer sont les valeurs qui doivent habiter les seules femmes qui méritent leur respect (les faibles – comme les pauvres – ne le restant, faibles ou pauvres, que par leur faute, leur manque de combativité et leur incapacité à s'adapter à la violence des hommes, comme à celle du monde marchand). Au demeurant, elles ne revendiquent pas d'élever leurs garçons dans le respect des femmes, mais trouvent "plus judicieux" d'élever leurs filles "de sorte qu'elles soient suffisamment informées et conscientes pour pouvoir vivre pleinement leur vie sans se laisser intimider ni culpabiliser, afin de pouvoir répondre à cette liberté d'importuner, autrement qu'en s'enfermant dans le rôle de proie". L'idée que les rapports entre les hommes et les femmes pourraient trouver d'autre fondement que celui de la prédation – donc le rapport de force – ne les effleure pas un instant : les petits garçons peuvent continuer à devenir des beaufs machos ; leurs petites filles, quant à elles, devenues grandes, pourront chanter fièrement Johnny, johnny, fais-moi mal : ma maman m'a appris le Kung-fu !
Mais ces femmes qui ont choisi de rouler pour les mecs, les confortant dans les manifestations les plus détestables de leur libido et de l'expression de leurs désirs, ce faisant, se targuent de nous prémunir contre les ennemis de la liberté sexuelle, les extrémismes religieux et le retour de la morale victorienne. C'est assez cocasse, et bien représentatif de l'assurance de classe des bourges, que d'oser nous la faire à l'envers avec un tel aplomb. En effet, c'est précisément leur vision de la dévolution des rôles entre hommes et femmes et leur rapport au sexe qui sont farouchement ennemis de la liberté sexuelle, et conformes aux préceptes religieux et moraux, les religions dites du Livre ne prônant rien d'autre qu'une sexualité féminine subie, passive et maintenue sous l'emprise de l'homme, ensemenceur de vie...
Alors, de quoi ces courageuses amazones, adeptes de la drague lourde, du beauf libidineux, du relou collant, du tripoteur à la petite semaine et du patron à la main baladeuse, sont-elles censées nous protéger, puisqu'elles partagent avec le discours religieux le même principe de domination de l'homme sur la femme ? Principe ancestral, archaïque et ringard dans le premier cas, mais curieusement tendance et épanouissant du second point de vue : Brigitte Lahaie, balayant la vieille sexualité comme Macron la vieille politique, signalant fièrement sur les ondes, aux has been demeurées ignorantes, que l'on peut "jouir d'un viol". Révélation ô combien moderne et rassurante, qui nous ouvre de prometteuses perspectives pour l'avenir : il n'y a pas de femmes frigides, il n'y a que des femmes mal-violées !
Alors, puisque les adoratrices des importuns et celles et ceux du Tout-Puissant voguent donc sur la même galère, que devrions-nous craindre, encore, de ce déferlement de délatrices que, selon l'expression consacrée, nous n'aurions pas aimé avoir eues comme voisines aux heures les plus sombres de l'Histoire, et qui ont l'affront, voire le mauvais goût, de ne pas savoir apprécier à leur juste valeur les mots grossiers et agressions polymorphes dont elles ont fait l'objet ? – La mort de l'Art ! Rien que ça ... Debord, par le passé, l'avait souhaité, les bourges libérales de la fumeuse tribune la craignent, le prédisant en danger.
Ainsi, l'Art qui a vu le jour et traversé les siècles du fait des religions, contre ou à côté de celles-ci, serait plus menacé aujourd'hui que des femmes expriment leur ras-le-bol de subir les assauts résultant de pulsions sexuelles non-partagées, que du temps où elles fermaient leur gueule ? C'est omettre que l'obscurantisme religieux se fout totalement de la parole des femmes et n'a jamais eu besoin de la prendre comme prétexte pour interdire la reproduction du corps humain, ou la détruire (cf les interdits et l'hypersexualisation de l'ère victorienne ou, plus récemment, la destruction des bouddhas géants de Bâmiyân). Les suffragettes anglaises furent une riposte à la morale victorienne, et non l'inverse. Ce qui est à craindre aujourd'hui n'est pas que la parole des femmes se libère, ni l'éventuelle récupération qui pourrait en être faite. La crainte de la récupération de quelque manifestation de liberté que ce soit ne saurait justifier de l'étouffer dans l'oeuf ou de la décrier. Que les signataires de cette tribune, du fait de leur position sociale, soient le résultat de la récupération, par le capitalisme, du désir des féministes de la fin des années 60 de sortir de leur foyer et d'obtenir leur autonomie financière, n'enlève rien à la légitimité du combat de ces femmes en leur temps. Et ce, quand bien même nous serions-nous bien passé de femmes devenues productrices (Francesca Piolot), consultantes en marketing (Evelyne Vitkine), ou Chefs d'entreprise (Sophie de Menthon), pour ne citer que quelques-unes desdites signataires...
Pour tenter d'enrober leur pilule du sucre de la radicalité, celles-ci ont cru bon d'exhumer le philosophe Ruwen Ogien, lui empruntant sa "liberté d'offenser", qu'en parfaites publicitaires (davantage en quête d'un slogan percutant que d'une exacte illustration de sa pensée), elles ont détourné de son sens premier. Car la liberté d'offenser d'Ogien est précisément celle qui repousse les limites de l'ordre établi par l'offense qui lui est faite, et sans laquelle le curseur n'avancerait pas. C'est-à-dire l'exact inverse de la proposition qui consiste, pour les hommes, à être libres d'importuner les femmes et pour ces dernières, être libres d'accepter d'être importunées. L'offense acceptée par l'offensée n'est pas une liberté qui repousse les limites de l'ordre établi. C'est celle qui les maintient à l'identique et c'est exactement ce qui résulte de la position prétendument audacieuse des signataires.
S'il faut s'inquiéter aujourd'hui, ce n'est pas de celles qui ne font que balancer leurs porcs comme on vomit un plat faisandé qui pèse sur l'estomac, mais de celles et ceux qui, au pire les enjoignent à se taire, au mieux à s'en remettre à la justice. Ainsi l'offense ne se laverait que par la condamnation de l'offensant. Il n'y aurait de salut que dans les prétoires, et ne pas se soumettre aux interrogatoires de la police ou des magistrats, ne pas s'en remettre à la seule vérité judiciaire, priverait les victimes d'un droit à la parole, pire : les rendraient suspectes. Curieuse injonction que celle de déposer plainte, de la part de certain(e)s qui, en d'autres circonstances, conchient volontiers la justice de classe. C'est faire peu de cas de la façon dont naît le droit, et oublier que les faits l'ont toujours précédé. Si la prolifération du concubinage, ou de l'homosexualité vécue au grand jour, ont fait évoluer le droit, c'est que ce dernier n'est que le résultat d'un rapport de force. Ce même rapport de force peut nous dispenser de la protection de la loi et d'une répartition des rôles en victimes et coupables. Si la peur change de camp, en amont de la justice, si les hommes prennent conscience qu'ils n'ont rien à gagner à se comporter comme des porcs, sauf à se prendre une veste chaque fois qu'ils approchent une femme, alors nous aurons avancé. Mais ce n'est certainement pas en les confortant dans ce qu'ils font de pire que nous y parviendrons.