samedi 24 mars 2018

Réponse à Catherine


Le 27 février dernier, Catherine a réagi au texte de Lilith Il n'y a pas de femmes frigides, il n'y a que des femmes mal violées !... Son commentaire appelait une réponse, qui, tardant à venir, aurait pu échapper à la principale intéressée. Ayant enfin trouvé le temps de se pencher sur la question, Lilith fait le choix de retranscrire l'échange sous la forme d'un nouveau billet :

 – Catherine : « Ce cochon de Morin »
En principe je n'aime pas trop les contre-exemples, souvent trompeurs, tronqués, qui font trébucher une vérité qui peine à se faire entendre. Surtout quand il s'agit de lutte contre la misère, l'asservissement des uns ou des unes par les autres. Mais je ne suis pas très à l'aise non plus quand on met dans le même sac les types abjects, et les pauvres types pas bien méchants, et qu'on les livre indifféremment à la vindicte populaire, comme si toutes les histoires se valaient. Guy de Maupassant était-il adepte du « droit d'importuner » ? Avec son conte «Ce cochon de Morin» ? Je ne pense pas, non. Trouvé sur un blog, suite à la version télévisée de «Ce cochon de Morin», dans le cadre de la collection Maupassant, (réalisée par Laurent Heynemann), un commentaire de l'acteur Didier Bénureau qui joue Morin. (Attention cela date de 2008). [Revenant de Paris en train, Morin, mercier à La Rochelle, se risque à embrasser brusquement une belle jeune fille, Henriette, dans le compartiment où ils voyagent seuls. Elle hurle de peur et Morin est arrêté. Pour aider Morin, le journaliste Labarbe se rend chez l'oncle de la jeune fille, afin de lui demander de retirer sa plainte... Didier Bénureau : "La première chose que Laurent Heynemann m’a dite, c’est : “Surtout, n’essaie pas de faire rire.” Et comme je suis un comédien docile, j’ai joué comme c’était écrit : Morin est timide, maladroit et naïf. J’ai essayé de jouer cette couleur, comme on joue une note sur un piano. Forcément, j’ai ramené le personnage à moi, à ce que je peux être parfois. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Laurent avait raison : si on avait fait de Morin une caricature, un gros dégueulasse ridicule, on passait à côté de l’esprit de cette histoire.  Je crois que Maupassant, en général et particulièrement dans Ce cochon de Morin, critique moins les personnages que la société dont ils sont le produit, les situations sociales, la morale dominante. Labarbe n’est pas antipathique. C’est un ambitieux, un peu calculateur, un peu faux. Il séduit les femmes, mais sans méchanceté aucune. Quant à Morin, c’est un petit bourgeois terne et coincé, dominé par sa femme. Labarbe lui parle de séduction, de plaisir, alors évidemment cela enflamme son imagination, il en perd la tête… Lui qui n’a jamais trompé son épouse, jamais rien tenté avec les femmes, la seule fois où il s’autorise un geste, paf ! c’est la catastrophe, il est traîné dans la boue et sa vie est foutue.  Tandis que Labarbe séduit sans peine Henriette en lui faisant du baratin et que la jeune femme, des années plus tard, une fois mariée, laisse entendre à Labarbe qu’elle aimerait le revoir… Alors, où est-elle, la morale, dans cette société qui brise un pauvre type dont le seul tort est de ne pas savoir s’y prendre ? Maupassant n’est pas amoral, il est immoral : il fait exploser la morale.”] 
Il est temps de balancer son « porc », mais faut-il pour autant balancer « ce cochon de Morin » et tous les Morin en général ? 
Mon commentaire va sans doute vous mettre en rogne, tant pis pour moi. Et mille pardons si c'est le cas.


Lilith : Très Chère Catherine,
Votre commentaire laisse à penser (mais j'espère me tromper) que vous êtes de ces natures débordantes d'empathie, toujours à craindre de froisser l'autre et qui cherche en elle-même, plutôt que chez un(e) auteur(e) extérieur(e), les raisons de ses propres mésaventures. Rassurez-vous, quand bien même votre commentaire m'aurait mise en rogne (ce qui ne fut pas le cas), il n'y aurait pas motif à solliciter mon pardon. Vous me lisez et ne serait-ce que pour cela, c'est à moi de vous remercier, que vous partagiez ou non mes propos.
Je n'avais pas lu Ce cochon de Morin et grâce à vous, je me réveille ce matin un peu moins ignorante. L'histoire est édifiante, fort bien écrite et il est vrai qu'un seul baiser volé a transformé cet homme en dindon de la farce. Mais pour autant, je n'en tire pas la même conclusion que vous. Maupassant dénonce dans cette nouvelle l'hypocrisie de la morale bourgeoise judéo-chrétienne du 19ème siècle et la duplicité des jeux d'apparences qui l'accompagne. Il n'intervient pas sur le terrain du droit – ou non – pour un homme d'importuner les femmes pour parvenir à ses faims. Au demeurant, dans les deux cas Henriette se fait importuner : même si Labarbe commence pôliment par se présenter puis justifie son emballement soudain, il n'en reste pas moins que – comme Morin – il se sert aussi par surprise, avant d'obtenir (pour ce qui le concerne) un début de consentement. Dans cette histoire et conformément au rôle dévolu à cette époque à la femme en général et à la femme bourgeoise en particulier, elle n'existe ici que pour sa faculté d'être à l'origine de la perte d'un homme et de la gloire d'un autre. Maupassant ne la place absolument pas en victime potentielle des ardeurs qu'elle déclenche. Du début à la fin de la nouvelle, la seule victime est et restera ce cochon de Morin. La femme ici n'est qu'une pièce rapportée, la tentatrice qui réveille chez les hommes leur animalité et l'idée de prédation n'est jamais interrogée tant elle est tenue pour acquise.
Ainsi, comme vous le craigniez, Catherine, le contre-exemple est une fois de plus trompeur. Néanmoins vous me posez la question de savoir s'il ne conviendrait pas de hiérarchiser entre le simple cochon et le porc, mais si le cochon est identifié, je ne sais pas qui – pour vous – est un porc : le Labarbe de la nouvelle ou les agresseurs qui ne se contentent pas d'un seul baiser volé ? Quoi qu'il en soit, ce faisant, vous vous placez exactement sur le terrain des signataires de la tribune, qui distinguent "le type abject" du "pauvre type pas bien méchant", frustré, victime d'une "grande misère sexuelle", le dragueur lourd et même le mec harcelant, qui, au grand bonheur de Sophie de Menthon, à force d'insistance, est devenu son mari.
Vous l'aurez déjà compris, Catherine : pour avoir choisi de rester nullipare, je suis restée totalement démunie de cet instinct maternel qui voudrait que j'excuse l'enfant qui se cache derrière l'homme désirant, que je pardonne au petit tyran qui sommeille en lui, que j'admette que le ça le domine, que le surmoi n'a pas encore trouvé sa place et que différer le principe de plaisir lui est insupportable. Pour autant, comme toute-une-chacune, je fais la différence entre une main aux fesses et un viol, la question n'est pas là. Accepter la main aux fesses c'est préparer le lit du viol, comme l'injure sexiste, raciste, antisémite ou homophobe prépare l'agression (voire le crime) sexiste, raciste, antisémite ou homophobe. Pourtant ce ne sont que des mots et pourtant une main aux fesses n'est qu'une main aux fesses...

Il n'est donc pas seulement temps de balancer les porcs et de couvrir ceux qui sommeillent chez les petits cochons, il est temps de laisser aux femmes le choix d'évaluer elles-même l'importance qu'elles accordent aux agressions dont elles ont été victimes, qu'elles soient verbales, psychologiques ou physiques, et de leur laisser le droit de rendre la honte encore plus honteuse en la livrant à la publicité, si cela leur fait plus de bien que de s'en remettre aux prétoires. Enfin, il est temps de comprendre qu'entre la prédation et les jeux de séduction, il y a un monde à choisir : la barbarie ou la civilisation. Pour ma part, mon choix est déjà fait...

Les ailes du désir

samedi 17 mars 2018

Balade en Encéphales


Le plus souvent relégués, cachés de la vue du commun des mortels, les fous ces derniers temps sont à l'honneur, à défaut d'être à la fête. C'est ainsi qu'après deux expositions dans les murs du tristement célèbre hôpital Sainte-Anne, s'achève, dimanche 18 mars au soir, l'exposition La folie en tête, dans les murs de ce qui fut la maison de Victor Hugo à Paris. Le choix du lieu n'est pas anodin, le poète ayant vu sombrer dans la folie son frère aîné Eugène et sa fille Adèle. Si ces derniers payèrent leur tribut à la maladie en lui abandonnant tout élan créatif, d'autres, au contraire, flirtèrent avec le génie et nous laissèrent pour mémoire de leurs vies confisquées des oeuvres à faire pâlir d'envie la bande d'imposteurs de la FIAC. La folie en tête nous ramène aux racines de l'art brut, avant que Jean Dubuffet n'en devienne le grippe-fous qui feront sa fortune et qu'un dessin d'Adolf Wölfli, interné à l'hôpital psychiatrique de la Waldau à Berne et mort en 1930, ne s'échange aujourd'hui contre la modique somme de 150 000 €. 
L'exposition est répartie autour des collections de quatre médecins aliénistes des 19ème et (début du) 20ème siècles : la collection du docteur Browne, médecin à l'asile de Crichton, en Ecosse, destiné aux patients aisés, bénéficiant de cours de dessin parfois prescrits à des fins thérapeutiques ; la collection du docteur Auguste Marie, médecin-chef de l'asile de Villejuif en 1900, avant de rejoindre Sainte-Anne en 1920, et qui, dès 1908, réunissait déjà pas moins de 1500 pièces ; la collection de Walter Morgenthaler, médecin à l'hôpital psychiatrique de Berne, composée de 2500 images sur des feuilles de papier, dans des cahiers à dessins, 2000 feuillets de textes, sculptures en bois, tissu ou argile, comme autant de portraits de l'âme des pensionnaires ; enfin, la collection du docteur Hans Prinzhorn, rassemblée dans la clinique universitaire de Heidelberg, débutée par son prédécesseur Emil Kraepelin, dès 1871, dans la perspective de la consitution d'un musée de l'art des aliénés.
Si ces oeuvres disparaîtront de la maison de Victor Hugo dimanche soir pour n'y laisser que les fantômes de leurs auteurs, elles reprendront dès lundi leur place dans les bibliothèques Dunfries et Galloway, au Royaume-Uni, dans la collection d'art brut du musée de Lausanne et au musée de l'hôpital psychiatrique Stiftung à Berne, en Suisse, dans celui de la clinique d'Heidelberg en Allemagne, ou encore au Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut de Villeneuve d'Ascq, en France. Lilith remercie de tout coeur la folie de lui inspirer ainsi de nouveaux désirs de voyages et de lui offrir un peu de beauté dans ce monde de brutes.

(Auteur : Le Voyageur Français)

(Le Voyageur Français)

(Le Voyageur Français)

(Émile Josome Hodinos, sans titre

(Émile Josome Hodinos, sans titre) 

(Adolf Wölfli, sans-titre, 1915) 

(J.G., The Confessional Press)

(Joseph Askew, Stylised Figure)

(Anonyme, Februarius)

(Anonyme, Seascape with upside down view)






jeudi 8 mars 2018