Le 27 février dernier, Catherine a réagi au texte de Lilith Il n'y a pas de femmes frigides, il n'y a que des femmes mal violées !... Son commentaire appelait une réponse, qui, tardant à venir, aurait pu échapper
à la principale intéressée. Ayant enfin trouvé le temps de se pencher sur la
question, Lilith fait le choix de retranscrire l'échange sous la forme d'un
nouveau billet :
– Catherine : « Ce cochon de Morin »
En principe je n'aime pas trop les contre-exemples, souvent trompeurs, tronqués, qui font trébucher une vérité qui peine à se faire entendre. Surtout quand il s'agit de lutte contre la misère, l'asservissement des uns ou des unes par les autres. Mais je ne suis pas très à l'aise non plus quand on met dans le même sac les types abjects, et les pauvres types pas bien méchants, et qu'on les livre indifféremment à la vindicte populaire, comme si toutes les histoires se valaient. Guy de Maupassant était-il adepte du « droit d'importuner » ? Avec son conte «Ce cochon de Morin» ? Je ne pense pas, non. Trouvé sur un blog, suite à la version télévisée de «Ce cochon de Morin», dans le cadre de la collection Maupassant, (réalisée par Laurent Heynemann), un commentaire de l'acteur Didier Bénureau qui joue Morin. (Attention cela date de 2008). [Revenant de Paris en train, Morin, mercier à La Rochelle, se risque à embrasser brusquement une belle jeune fille, Henriette, dans le compartiment où ils voyagent seuls. Elle hurle de peur et Morin est arrêté. Pour aider Morin, le journaliste Labarbe se rend chez l'oncle de la jeune fille, afin de lui demander de retirer sa plainte... Didier Bénureau : "La première chose que Laurent Heynemann m’a dite, c’est : “Surtout, n’essaie pas de faire rire.” Et comme je suis un comédien docile, j’ai joué comme c’était écrit : Morin est timide, maladroit et naïf. J’ai essayé de jouer cette couleur, comme on joue une note sur un piano. Forcément, j’ai ramené le personnage à moi, à ce que je peux être parfois. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Laurent avait raison : si on avait fait de Morin une caricature, un gros dégueulasse ridicule, on passait à côté de l’esprit de cette histoire. Je crois que Maupassant, en général et particulièrement dans Ce cochon de Morin, critique moins les personnages que la société dont ils sont le produit, les situations sociales, la morale dominante. Labarbe n’est pas antipathique. C’est un ambitieux, un peu calculateur, un peu faux. Il séduit les femmes, mais sans méchanceté aucune. Quant à Morin, c’est un petit bourgeois terne et coincé, dominé par sa femme. Labarbe lui parle de séduction, de plaisir, alors évidemment cela enflamme son imagination, il en perd la tête… Lui qui n’a jamais trompé son épouse, jamais rien tenté avec les femmes, la seule fois où il s’autorise un geste, paf ! c’est la catastrophe, il est traîné dans la boue et sa vie est foutue. Tandis que Labarbe séduit sans peine Henriette en lui faisant du baratin et que la jeune femme, des années plus tard, une fois mariée, laisse entendre à Labarbe qu’elle aimerait le revoir… Alors, où est-elle, la morale, dans cette société qui brise un pauvre type dont le seul tort est de ne pas savoir s’y prendre ? Maupassant n’est pas amoral, il est immoral : il fait exploser la morale.”]
Il est temps de balancer son « porc », mais faut-il pour autant balancer « ce cochon de Morin » et tous les Morin en général ?
Mon commentaire va sans doute vous mettre en rogne, tant pis pour moi. Et mille pardons si c'est le cas.
– Lilith : Très Chère Catherine,
Votre commentaire laisse à penser
(mais j'espère me tromper) que vous êtes de ces natures débordantes d'empathie,
toujours à craindre de froisser l'autre et qui cherche en elle-même, plutôt que
chez un(e) auteur(e) extérieur(e), les raisons de ses propres mésaventures.
Rassurez-vous, quand bien même votre commentaire m'aurait mise en rogne (ce qui
ne fut pas le cas), il n'y aurait pas motif à solliciter mon pardon. Vous me
lisez et ne serait-ce que pour cela, c'est à moi de vous remercier, que vous
partagiez ou non mes propos.
Je n'avais pas lu Ce cochon de Morin et grâce à vous, je
me réveille ce matin un peu moins ignorante. L'histoire est édifiante, fort
bien écrite et il est vrai qu'un seul baiser volé a transformé cet homme en
dindon de la farce. Mais pour autant, je n'en tire pas la même conclusion que
vous. Maupassant dénonce dans cette nouvelle l'hypocrisie de la morale bourgeoise
judéo-chrétienne du 19ème siècle et la duplicité des jeux d'apparences qui l'accompagne.
Il n'intervient pas sur le terrain du droit – ou
non – pour un homme d'importuner les
femmes pour parvenir à ses faims. Au
demeurant, dans les deux cas Henriette se fait importuner : même si Labarbe
commence pôliment par se présenter puis justifie son emballement soudain, il n'en
reste pas moins que – comme Morin – il se
sert aussi par surprise, avant d'obtenir (pour ce qui le concerne) un début
de consentement. Dans cette histoire et conformément au rôle dévolu à cette
époque à la femme en général et à la femme bourgeoise en particulier, elle
n'existe ici que pour sa faculté d'être à l'origine de la perte d'un homme et
de la gloire d'un autre. Maupassant ne la place absolument pas en victime potentielle
des ardeurs qu'elle déclenche. Du début à la fin de la nouvelle, la seule victime
est et restera ce cochon de Morin. La
femme ici n'est qu'une pièce rapportée, la tentatrice qui réveille chez les
hommes leur animalité et l'idée de prédation n'est jamais interrogée tant elle
est tenue pour acquise.
Ainsi, comme vous le craigniez, Catherine,
le contre-exemple est une fois de plus trompeur. Néanmoins vous me posez la
question de savoir s'il ne conviendrait pas de hiérarchiser entre le simple
cochon et le porc, mais si le cochon est identifié, je ne sais pas qui – pour vous – est
un porc : le Labarbe de la nouvelle ou les agresseurs qui ne se contentent pas
d'un seul baiser volé ? Quoi qu'il en soit, ce faisant, vous vous placez
exactement sur le terrain des signataires de la tribune, qui distinguent "le
type abject" du "pauvre
type pas bien méchant", frustré, victime d'une "grande misère sexuelle", le dragueur lourd et même le mec
harcelant, qui, au grand bonheur de Sophie de Menthon, à force d'insistance,
est devenu son mari.
Vous l'aurez déjà compris,
Catherine : pour avoir choisi de rester nullipare, je suis restée totalement
démunie de cet instinct maternel qui voudrait que j'excuse l'enfant qui se
cache derrière l'homme désirant, que je pardonne au petit tyran qui sommeille
en lui, que j'admette que le ça le
domine, que le surmoi n'a pas encore
trouvé sa place et que différer le principe de plaisir lui est insupportable.
Pour autant, comme toute-une-chacune, je
fais la différence entre une main aux fesses et un viol, la question n'est pas
là. Accepter la main aux fesses c'est préparer le lit du viol, comme l'injure
sexiste, raciste, antisémite ou homophobe prépare l'agression (voire le crime) sexiste,
raciste, antisémite ou homophobe. Pourtant ce ne sont que des mots et pourtant
une main aux fesses n'est qu'une main aux fesses...
Il n'est donc pas seulement temps
de balancer les porcs et de couvrir ceux qui sommeillent chez les petits
cochons, il est temps de laisser aux femmes le choix d'évaluer elles-même
l'importance qu'elles accordent aux agressions dont elles ont été victimes, qu'elles
soient verbales, psychologiques ou physiques, et de leur laisser le droit de
rendre la honte encore plus honteuse en la livrant à la publicité, si cela leur
fait plus de bien que de s'en remettre aux prétoires. Enfin, il est temps de comprendre
qu'entre la prédation et les jeux de séduction, il y a un monde à choisir : la
barbarie ou la civilisation. Pour ma part, mon choix est déjà fait...