« Moi, je suis presque millionnaire - à la fois avec un emprunt (sic) - parce que mes deux parents sont morts. Et parce qu'ils sont morts, je suis devenu presque millionnaire... »
Les pauvres, ça se plaint tout le temps et ça aime pas les riches. Mais les riches, s'ils sont riches, c'est juste qu'ils ont plus de parents, les pauvres ! Et les pauvres, s'ils sont pauvres, c'est parce que - eux - ils ont encore leur papa et leur maman. Un jour - dans longtemps - quand leur pauvre papa et pauvre maman seront morts, c'est sûr, ils seront riches. Mais ils veulent pas attendre (le pauvre, en plus d'être pauvre, est impatient). Alors, ces salauds de pauvres, si ils sont si pressés, au lieu de faire chier les riches, ils ont qu'à buter leurs parents !
« Donald Trump a reconnu mercredi Jérusalem comme capitale d'Israël, marquant une rupture spectaculaire avec ses prédécesseurs et ignorant les vives mises en garde des dirigeants de la région, et au-delà, qui redoutent une flambée de violence au Proche-Orient. »
Documentaire couleur de Catherine Gund et Daresha Kyi. Actuellement en salles.
Mexico, Districto Federal, printemps 1987. Lilith roulait péniblement sur
l'asphalte défoncé des rues encore vérolées par le terrible tremblement de
terre qui avait frappé la ville deux ans auparavant. Le ciel était bas, plombé,
l'air à peine plus respirable qu'en semaine. C'était dimanche et Joëlle avait
décidé d'aller sauter, alors Lilith enchaînait les barrios l'un après l'autre, avant d'atteindre le bout de la
mégapole et de mettre le cap plein sud, direction Acapulco. Une bonne heure
plus tard, Lilith traversait la "ville au printemps éternel" :
Cuernavaca, haut lieu de la villégiature des chilangos et, avant eux, résidence de choix de Moctezuma. Cool, se
dit Lilith à la vue du zocalo ombragé,
des terrasses animées, bordées par la façade imposante du fameux Palacio del gobierno.
– C'est pas en ville, dit Joëlle,
c'est un peu plus loin, continue, je t'indiquerai.
Effectivement, c'est au millieu du
grand rien-du-tout qu'elle dit enfin : On
y est, arrête-toi, à l'orée de ce qui fut un champ et n'était plus qu'une
étendue poussiéreuse, où trônaient un hangar en tôle ondulée, une bicoque
faisant office de tour de contrôle et où s'égayaient quelques poules aux côtés
d'un zinc en plein bain de soleil, qui paraissait tout minuscule, entouré des
volcans et montagnes alentours.
C'est là que Joëlle faisait de la
chute libre et se proposait de la faire découvrir à Lilith. Cette dernière
n'avait à son actif qu'un saut en parachute au-dessus de la plage de Dieppe, en
France, à 700 mètres d'altitude. Ici, il s'agissait de monter à 3700 mètres du
sol, de sauter et d'ouvrir l'aile 2000 mètres plus bas...
Joëlle pratiquait plusieurs sports
de combat, le tir à l'arc, la chute libre comme plus tard, le parapente
(qu'elle fit aussi découvrir à Lilith). Elle n'aimait pas les chochottes, bien qu'elle se fît
surnommer Chouchou, et Lilith ne
discuta pas. À peine arrivée, Lilith suivit la leçon dans le hangar, à plat
ventre sur une planche à roulettes, bras et jambes repliés vers le ciel, elle
apprit à contrôler l'altimètre placé à son poignet et, une fois enfilées les
combinaison et lunettes de rigueur, s'envola dans le bruit assourdissant de
cette boîte de conserve affublée de deux ailes tremblotantes. Le moment venu,
c'est-à-dire quand le sol ne ressembla plus qu'à une carte du Mexique en
relief, elle s'assit au bord de la carlingue, les pieds dans le vide, attrapa
des deux mains l'aile qui lui faisait face puis, le corps en suspension
"retenu" par un "matelas invisible", elle lâcha prise et
fit une chute de quarante-cinq interminables et délicieuses secondes, à plus de
deux cents kilomètres heure, avant d'ouvir son parachute et retrouver la terre
ferme, où l'attendaient son compagnon et une Joëlle ravie.
Alors qu'elle traînait son aile en
veillant à ne pas trop emmêler les suspentes, un bref applaudissement, des
rires cristallins et une voix rauque attirèrent son attention. Attablées près
de la bicoque, plusieurs femmes sirotaient une bière fraiche en papotant et
commentant le spectacle, qui, en l'espèce, se résumait à peu de choses car en-dehors
d'elles, le pilote les deux professeurs, Joëlle et ses amis, il n'y avait
personne d'autre.
Chouchou fit les présentations : Chavela Vargas, annonça-elle... et sa
cour (ce qu'elle ne dit pas en ces termes). Une fois les politesses achevées,
Chavela s'en prit au compagnon de Lilith et, se lançant dans un concours de
qui, d'elle ou lui, avait les plus grosses
cojones, fit remarquer qu'apparemment, seules les filles sautaient ici, que
lui s'était simplement contenté de regarder faire Lilith. De là à en déduire
qu'il était couard, il n'y avait qu'un pas... Bien que perdu dans les volutes
de sa hierba buena qui le faisaient
planer au-dessus de ces basses provocations, et bien qu'ayant souffert du
vertige quelques jours plus tôt en grimpant l'escalier en colimaçon de quarante
mètres de haut dans le corps de la statue de Morelos sur la Isla Janitzio, il
s'ouvrit au challenge d'un sourire/rictus caractéristique des western-spaguettis
et - écrasant son stick sous la pointe de sa Tiag, soulevant un nuage de poussière
- demanda à quelle heure était le prochain tour
de manège. Il ne lui manquait plus qu'un poncho négligemment jeté sur ses
épaules pour que l'illusion fût parfaite et l'égalité, rétablie avec Chavela,
qui, elle, comme souvent, en portait un rouge flamboyant cet après-midi là.
C'est ainsi que bravant sa peur, il sauta, et que Chavela, au nom de cette
"amitié" masculine née de défis relevés, invita Lilith et son
compagon à Coyoacan, dans le cabaret où elle se produisait toutes les fins de
semaine. Jöelle, afficionada de longue date, les y accompagna. À la fin de son
récital – comme souvent, apprit Lilith – elle offrit une rose rouge à une
spectatrice (à qui elle avait semblé dédier chacune de ses chansons au cours de
la soirée...)
Quand Lilith rencontra Chavela
Vargas, elle avait soixante-huit ans et était connue comme la plus grande
lesbienne d'Amérique Latine. Depuis son plus jeune âge, elle était vêtue en
homme et chantait tout le répertoire de rancheras,
réservé aux seuls Hombres, aux Mariachis
qui font pleurer les couples au café Tenampa
ou sur les trottoirs de la place Garibaldi. Dans un Mexique où, dans les années
80, les cantinas (bistros de base)
étaient encore interdites aux femmes, aux militaires en tenue et aux chiens,
comment une femme comme elle, vivant ses amours au grand jour, aurait-elle pu
passer pour une hétéro ? Le public de Chavela Vargas n'a pas eu besoin
d'attendre ses quatre-vingt ans et son coming-out, fait à l'occasion de sa
consécration en Europe, pour savoir qu'elle était homosexuelle. Ce rituel
occidental voulant que les gays et lesbiennes, s'outent pour prouver qu'ils assument leurs préférences sexuelles,
est une injonction ridicule, personne ne demandant à un/une hétéro "d'avouer"
publiquement préférer l'autre sexe. L'engouement pour Chavela Vargas en-dehors
de l'Amérique Latine est née de la passion pour cette chanteuse de Pedro
Almodovar, qui en fit une icône gay : il l'aurait sortie du caniveau, d'après les médias qui prétendent qu'elle avait
sombré dans l'oubli, en même temps que dans l'alcool. C'est mal connaître le
Mexique, et l'Amérique Latine en général qui, bien au contraire, adorent les
héros fatigués, alcooliques, à moitié mais jamais complètement finis, émouvants
parce que vivants et bourrés de défauts. Les Paquita del Barrio comme les Chavelas Vargas ont toujours eu leur
place dans les cabarets de la capitale mexicaine où l'on vient se finir pour
oublier, ou plutôt : se délecter d'un chagrin d'amour. Ainsi, contrairement à
ce que l'on peut lire aujourd'hui sur Chavela, elle n'a pas attendu
quatre-vingt ans pour connaître la célébrité, ni pour se vivre ouvertement
homosexuelle. En revanche, ces mêmes médias écrivent qu'elle se serait adonnée
à la caida libre " à l'âge de quatre-vingt
ans". Si ce n'est pas encore un mensonge, cela voudrait dire qu'en 1987,
sur l'aérodrome de Cuernavaca, la Chavela avait fait sa maligne devant ses
copines, lançant un défi au compagon de Lilith (défi relevé), alors que c'était
elle le chicken on the road...
Artistes névrosés en liberté et aliénés plasticiens enfermés. Qui, de celui qui met ses névroses au service de sa créativité ou sa créativité au service de ses névroses, est le véritable artiste ? Art des fous, art brut ? Lilith s'en fout ! En revanche, elle aime ça, est troublée, est émue, comme au musée. Plus qu'au musée ? Elle y a été et y retournera :
Elle était une fois (Acte 1) - La collection Sainte-Anne : les origines - Centre hospitalier Sainte-Anne, 1 rue Cabanis, 75014 Paris, jusqu'au dimanche 26 novembre 2017
Anonyme
Autolocomoteur aérien à grande vitesse pour migrer un mois. Début du XXe siècle
Crayon noir, crayon de couleur et encre sur papier 48,5 x 74,6 cm Inv. 0628
Millet, Auguste
Médor subodore de la Salangane, 1928
Encre et aquarelle sur papier 26,6 x 20,8 cm Inv. 008
***
Elle était une fois (Acte 2) - La collection Sainte-Anne, autour de 1950, du 1er décembre 2017 au 28 février 2018 (vernissage jeudi 30 novembre 2017, de 18 h 30 à 21 h 30.
(Jean
Bourdichon, Saint Côme et Saint Damien
soulevant un urinal, peinture sur parchemin, Livre d'heures d'Anne de Bretagne, vers 1505, bibliothèque
nationale de France).
***
Pas
plus gros qu'un missel, jaune d'or comme un tournesol au zénith et tout aussi
désaltérant qu'une pale ale bien
mousseuse, l'ouvrage intitulé Des
urinoirs dans l'art...avant Marcel
Duchamp, se déguste à l'ombre d'un buisson touffu ou d'une bâtisse
charpentée, aux pieds desquels il estloisible
de se soulager de ce que ne manque pas d'inspirer une si instructive lecture.
Philippe
Comar, plasticien, scénographe, écrivain et professeur de morphologie aux Beaux-Arts de Paris, nous offre un précieux opuscule consacré à l'urine et ses dédiés
réceptacles dans le champ de l'histoire de l'art.
Certes,
la fréquentation des baroques, des peintres flamands du XVIIème siècle, nous
avait laissé entrevoir un goût certain pour l'uroscopie et ses multiples déclinaisons
artistiques, mais ce qui fait le charme de ces quelques feuillets
merveilleusement illustrés, c'est l'obsessionnelle quête de la pisse et ses
représentations à travers les âges, à laquelle l'auteur s'est voué avec un
succès certain, jusqu'à nous débusquer de véritables pépites. D'ailleurs, nous
dit-il, "le mot urine dérive de l'ancien français orine, croisement du latin urina
et aurum, "or". On
découvre que jusqu'à la fin du XVIIème siècle l'uromancie était en effet une
pratique courante, l'urine ne suscitant "pas ou peu de dégoût", les
alchimistes allant jusqu'à l'appeler "mercure philosophique". L'urinal,
habilement manié par des "docteurs ès urines", révélait selon la
couleur du précieux liquide l'état de santé du client, selon les "vingt
variétés de couleurs d'urine admises alors par la médecine : blanche, lactée, glauque, cendrée, claire,
blême, citrine pâle, citrine, jaune d'or (couleur de l'urine normale), safran, rousse, rouge pâle, rougeâtre,
sanguine, vineuse, pourpre, verte, livide, noire, noir mortifère" (...).
(Anonyme,
Comparaison des différents types d'urine
chez un urologue, gravure sur bois coloriée, reproduite dans l'ouvrage de
Johannes de Cuba (Jean de Cuba), Hortus
Sanitatis, tractatus de urinis, Mayence, 1491 ; première édition, 1485).
***
(...)
"En plus de servir d'assise au diagnostic, l'urine était réputée pour ses
nombreuses vertus médicinales. On pouvait la boire, la préparer en infusion, la
distiller, se gargariser avec, l'utiliser en onguent, en sel, en embrocation,
en lavement. Madame de Sévigné soignait ses maux de tête avec de l'essence
d'urine" (...) Mais surtout, grâce au savoir des uromantes (ou
uromanciens) on examinait les urines pour dire l'avenir ou rappeler le passé.
Dans l'or de cette sécrétion se lisaient l'histoire et le destin de chacun. (...) Le ballon divinatoire rivalisait avec la boule de cristal. (...) Brantôme,
dans la Vie des femmes galantes,
rapporte que certains médecins se flattaient à la seule inspection des urines
de juger si une jeune fille avait gardé ou non sa virginité. Un tableau de
Godfried Schalcken, La consultation
indiscrète, vers 1690, montre une scène de voyance non moins étonnante. Un
médecin scrute de près les urines d'une demoiselle en pleurs et découvre in vitro un précipité révélateur : une
petite forme humaine qui nage dans l'humeur dorée du bocal – le spectre d'un
homoncule –, signe que la jeune fille n'a pas gardé sa vertu et qu'elle en
subit in utero les
conséquences."
(Godfried
Schalcken, Le Médecin aux urines, ou La consultation indiscrète, huile sur
panneau, Musée Mauritshuis, La Haye).
***
D'autres
tableaux "souvent remisés dans les caves des musées" laissent
apparaître des jeunes femmes anémiées, telle La Malade de Gabriel Metzu, souffrant
d'une passion contrariée, ou sa semblable démasquée par son urinal
dans Le chagrin d'amour de Jan Steen.
(Jan
Steen, Le Chagrin d'amour, vers 1660,
huile sur toile, Staatliches Museum, Schwerin).
***
Ce
qui plaît beaucoup à Lilith dans l'approche du sujet par Philippe Comar, c'est
qu'il ne semble pas du genre à accepter en renâclant juste un dé à coudre du
précieux liquide tout en se pinçant le nez, mais comme les "ampoules de
verre remplies d'une onde dorée", paraît avoir bon fond et s'interroge, voire se désespère qu'en quatre
siècles nous soyons "passés d'une époque qui savait transcender ses
humeurs, les élever à la lumière, les transmuer en or et composer des
chefs-d'oeuvre que l'on peut mirer et admirer à une époque où nous ne savons
plus transformer les nôtres qu'en une matière répugnante, honteuse, que nous
laissons choir." (Des urinoirs dans l'art...avant Marcel Duchamp, Beaux-Arts de
Paris éditions, 2017).
***
Dans
le même esprit et pourquoi pas, dans un jet continu, Lilith propose aussi de
l'art – et bien sûr du cochon – avec son Pain
perdu, spécialement concocté à la demande gourmande des Ames d'Atala pour le numéro 7, ou plus
exactement le septième service de la
"revue finissante" Amer,
qui, comme les précédents, se laisse radicalement déguster :
Dernière vespasienne de Paris,
boulevard Arago, devant la prison de la Santé.
"Tantôt chapelle oubliée, aux murs lépreux, tantôt grotte de Vénus,
humide, chaude et accueillante, tantôt temple d'Artémis, cette fois-ci, Laval
le voyait – cet antre – cathédrale :
imposante et dominatrice. Il en voulait pour sa dévotion.
Debout,
immobile au centre de son prie-dieu, il observait le ruissellement continu de
l'eau, qu'il savait être sans fin, dans une abolition totale du temps :
merveilleux exemple de fidélité, aperçu d'éternité. Cette eau, mille fois bénie
par la miction des hommes, glissait lascivement devant ses yeux plongés dans
les nuances de vert-de-gris, de noir profond, de brun ou d'ocre dont elle se
paraît, tel le caméléon, selon la multitude de teintes de la vieille paroi en tôle."
(Lilith
Jaywalker, Pain Perdu, in Amer n°7, page
169)
" Durant ces
mois d'exil, enfermée dans cette cuirasse de douleur, je ne m'étais plus
caressée. Aveuglée par la terreur, j'avais oublié que j'avais des seins, un
ventre, des jambes. Alors la douleur, l'humiliation, la peur n'étaient pas,
comme elles le prétendaient, une source de purification et de béatitude.
C'étaient de répugnantes voleuses qui la nuit, profitant du sommeil, se
glissaient à votre chevet pour vous ôter la joie d'être vivante. Ces femmes ne
faisaient aucun bruit quand elles passaient à côté de vous ou entraient et
sortaient de leurs cellules : elles n'avaient pas de corps. Je ne voulais pas
devenir transparente comme elles. Et maintenant que j'avais retrouvé
l'intensité de mon plaisir, jamais plus je ne m'abandonnerais au renoncement et
à l'humiliation qu'elles prêchaient si hautement. J'avais ce mot pour
combattre. Et dans mon exercice de santé – je l'appelais désormais ainsi en moi-même –, dans la chapelle, le chapelet entre les
doigts, je répétais : je hais. Penchée sur le métier, sous le regard éteint de
soeur Angelica, je répétais : je hais. Le soir avant de dormir : je hais. Ce
fut à partir de ce jour-là ma nouvelle prière."
(Goliarda
Sapienza, L'art de la joie, Le Tripode, p. 65)
***
L'art de
la joie est un pavé de 800 pages, une arme de décontrition massive, à
lancer à la gueule de la famille, la religion, l'hétérocentrisme, le réformisme
et la reddition tous domaines confondus. Son auteure, Goliarda Sapienza, n'est
pas née pauvre, dans les plaines marécageuses de Sicile, un 1er janvier 1900,
d'une mère taiseuse et d'un père, au mieux absent, au pire libidineux,
trainant une enfance de souillon curieuse et affamée, comme son héroïne,
Modesta, mais à Catane, face à la mer et aux pentes fertiles de l'Etna, en
1924, d'un couple d'intellectuels antifascistes. De son père anarchiste,
Goliarda héritera d'un athéisme viscéral, dans une Italie infestée de bigotes, et
d'un amour pour la liberté que même l'Amour ne parviendra jamais à négocier.
Actrice, écrivaine, voleuse occasionnelle, Goliarda Sapienza connaîtra la
prison et de cette expérience naîtront sa passion pour une femme et un roman
autobiographique : L'université de Rebibbia. Morte en 1996 d'une
mauvaise chute dans un escalier, Goliarda Sapienza est l'alter ego que Lilith
vient de se découvrir, immédiatement intronisée au rang des soeurs de sangqui peuplent son imaginaire et lui
donnent la force d'espérer encore du genre humain.
Après avoir
défloré chaque page de ce livre comme autant de promesses de surprises, de
plaisirs, d'audaces et d'émotions, on ne tourne pas la dernière sans un
pincement au coeur. Alors à toutes celles et ceux qui n'ont pas encore lu L'art de la joie : quelle chance vous avez !..
« Plus de gouvernement, cette
machine à compression, ce point d'appui au levier réactionnaire.
Tout gouvernement – et par
gouvernement, j'entends toute délégation, tout pouvoir en dehors du
peuple – est de son essence conservateur – conservateur-borne,
conservateur-rétrograde, – comme il est de l'essence de l'homme
d'être égoïste. Chez l'homme, l'égoïsme de l'un est tempéré
par l'égoïsme des autres, par la solidarité que la nature a
établie, quoi qu'il fasse, entre lui et ses semblables. Mais le
gouvernement étant unique et par conséquent sans contrepoids, il en
résulte qu'il rapporte tout à lui, que tout ce qui ne se prosterne
pas devant son image, tout ce qui contredit ses oracles, tout ce qui
menace sa durée, tout ce qui est progrès, en un mot, est fatalement
son ennemi.(...)
Et n'espérez pas de meilleurs
hommes, un choix plus heureux. Ce ne sont pas les hommes, c'est la
chose en elle-même qui est mauvaise. Selon le milieu, la condition
où ils se meuvent, les hommes sont utiles ou nuisibles à ceux qui
les entourent.
Ce qu'il faut, c'est de ne point
les placer en dehors du droit commun, afin de ne point les mettre
dans la nécessité de nuire. Ce qu'il faut, c'est de ne point se
donner de pasteur si l'on ne veut être troupeau, point de
gouvernants si l'on ne veut être esclaves.
Plus de gouvernement, et alors
plus de ces ambitions malfaisantes qui se servent des épaules du
peuple, ignorant et crédule, que pour en faire un marche-pied à
leurs convoitises. Plus de ces candidats-acrobates dansant sur la
corde des professions de foi, du pied droit pour celui-ci, du pied
gauche pour celui-là. Plus de ces prestidigitateurs politiques
jonglant avec les trois mots de la devise républicaine, Liberté,
Egalité, Fraternité, comme avec les trois boules qu'ils font passer
sous les yeux des badauds et qu'ils escamotent ensuite au fond de
leur conscience, cette autre poche à malice...
Plus de ces saltimbanques de la
chose publique qui, du haut du balcon des Tuileries ou de l'Hôtel de
Ville, sur les tréteaux d'une Convention ou d'une Constituante, nous
font depuis tant d'années assister aux mêmes parades, à la
pasquinade de la meilleure des républiques, et qu'il nous
faut toujours finir – pauvres niais que nous sommes – par payer
de nos sueurs et de notre sang. (...)
Duègne édentée, Mégère aux
doigts crochus, Méduse au front couronné de vipères, Autorité !
arrière et place à la liberté !...
Place au peuple en possession
directe de sa souveraineté, à la commune organisée.»
(Joseph Déjacque, La
question révolutionnaire, extrait du texte Du
gouvernement,1854, édité sous le titre A BAS LES
CHEFS par les éditions Champ Libre)
Pendant qu'à Beaubourg, les visiteurs s'extasièrent des mois durant (du 21 septembre 2016 au 23 janvier 2017) sur ce qu'une pipe n'est pas et sur ce que la médiocrité érigée en art est sans aucun doute, juste en face on se demandait avec humour : " C'est quoi ceci ? "
Que la pipe de Magritte n'en soit pas une, Lilith s'en tape. Du reste, elle aurait préféré que l'artiste développât son concept jusqu'à estimer que toutes ses productions n'en étaient pas, et que lui-même n'était pas Magritte, s'abstenant de nous abreuver de ses illustrations de réclame, ce qui aurait fait de la place dans les musées et libéré un bâtiment à Bruxelles. Mais le monde est mal fait, on ne le répètera jamais assez…
C'est ainsi que par un après-midi glacial, Lilith eut le plaisir sadien d'observer – bien au chaud – derrière la vitrine du Centre Wallonie-Bruxelles, une queue de plus de cent mètres de visiteurs congelés, venus à Beaubourg admirer l'exposition Magritte avant qu'elle ne s'achève.
Si cette fameuse pipe n'était pas une fellation, cette queue, en revanche, en était bien une…
Tels des veaux allant à l'abattoir, ou Capet à l'échafaud (nous étions le 21 janvier), ils ne pensèrent pas à se retourner et tenter d'échapper à leur triste sort, en poussant la seule porte qui valait la peine d'être poussée : celle des dignes représentants de la Belgitude à Paris.
C'est donc seule que Lilith se plongea dans Images et Mots depuis Magritte, exposition ô combien rassurante : s'il n'y a pas de vie après la mort, il y a au moins de l'art après Magritte ! On y retrouve – entre autres – les collages d'ELT Mesens, musicien, poëte dadaïste et dandy social (Déconstructions, Magie), Marcel Broodthaers, le poëte raté et désargenté (selon sa propre définition), la Promenade autour du cadre du liégeois Jacques Lizène, qui se dit l'inventeur de l'art nul, et trois numéros de la revue Variétés, illustrés par Magritte, qui, par comparaison, confortèrent Lilith dans sa détestation.
Mais c'est surtout pour Marcel Mariën que l'expo vaut le déplacement. Ecrivain, poëte, éditeur (Les lèvres nues), photographe, cinéaste, collagiste, ami puis ennemi juré de Magritte, Mariën le marginal, le provo, grand défenseur du mauvais goût, donne ici à voir cinq de ses œuvres, dont : L'espace et le temps ; Muette et aveugle, me voici habillée des pensées que tu me prêtes...
Lilith aime et profite – ici – de l'occasion pour ajouter à la sélection du commissaire de l'exposition quelques photographies de Mariën, parmi ses préférées :
Après le suicide
de sa soeur Barbara à 18 ans, tout juste sortie d'HP, morte de l'interdiction
parentale d'aimer, d'aimer un jeune black, elle, la petite bourgeoise blanche
de la banlieue de Boston, Nan, alors pré-adolescente, choisit de s'enfermer
dans le mutisme.
Dès lors, elle
ne communique que par images interposées. Le regard qu'elle porte sur le monde
parle pour elle et le monde ne sera plus jamais vu autrement qu'à travers
l'objectif et le prisme de cet événement fondateur, cette prise de conscience brutale
de la puissance du désir, des forces magnétiques des corps qui s'attirent, de
l'affrontement perpétuel d'Éros et Thanatos. Nan n'a jamais eu de préférence
pour l'un ou l'autre, sa soeur s'étant pleinement offerte aux deux au nom de sa
liberté, comme un crachat lancé à la gueule de ses parents, qui durent ensuite composer
avec le monstre magnifique qu'ils avaient engendré à leurs corps défendant : LA Nan Goldin.
Certains la
diront voyeuse, nourrie d'une spectaculaire complaisance pour le glauque, mais
c'est mal la connaître. Nan est une viveuse,
une diva no-limit qui avale sans
trier tout ce que la vie porte à ses lèvres, elle ne se ménage pas et n'ira jamais
se plaindre que la bouchée était trop grosse, que l'élixir n'était que poison,
ou que sous la douce langue du baiser se lovait une lame tranchante... Elle ira
discrètement se cacher pour recoudre ses plaies, celles de son âme, de son
coeur, de son corps et celles des âmes, des coeurs, des corps de ses ami(es)
morts, qu'elle chérit comme des vivants. Elle incarne la beauté cicatricielle du corps-offrande,
sacrifié à la dépendance sexuelle, la dépendance aux paradis artificiels, la
dépendance du corps aimant dans un monde malfaisant.
Lors des
premières projections de sa ballade, dans
les squats de Kreuzberg début 1984, c'était tout un bazar, des centaines de
diapos à trier, des dizaines de carrousels à mettre en place et le fondu enchaîné
à caler avec la musique d'alors : une compilation éclectique (Comme ils disent d'Aznavour, le Velvet, James Brown, etc) enregistrée sur
une bande magnétique. Le résultat était superbe, puissant... Au point que
Lilith n'imaginait pas possible qu'un autre accompagnement sonore pût se
glisser avec bonheur dans l'univers goldinien. C'est donc avec une curiosité
mâtinée de méfiance que Lilith s'est rendue à la Philarmonie de Paris pour
assister à cette refonte filmée de Ballad
of the Sexual Dependency, accompagnée d'un concert du groupe anglais The
Tiger Lillies. Que dire ? Si ce
n'est que Nan a retrouvé une voix, pour ne pas dire SA voix. Celle de Martyn
Jacques, très haute, à la fois cristalline et rauque, une voix de femme portée
par un corps trapu, un tantinet ventru, un visage maquillé en clown triste de
film d'horreur et un chapeau melon planté jusqu'au milieu du crâne : un bouffon
à la Orange Mécanique. Un répertoire
à la hauteur du monde selon Nan: mélange
de Kurt Weill, de musique klezmer et d'influences tziganes. Parfois au piano,
Martyn Jacques est accompagné d'un contrebassiste dégingandé : Adrian Stout, dandy
en costume Deschiens qui manie aussi
la scie musicale, et d'un stupéfiant batteur percussionniste : Jonas Golland, qui
caresse ses instruments plus qu'il ne les bat. The Tiger Lillies nous
plongèrent d'abord, une heure, dans leur univers expressionnisto-punk, nous
offrant une ode aux bas-fonds londoniens, avec des personnages hauts en
douleurs, poussés à leur paroxysme, dans un excès baroque, tragi-comique et
mortifère qui ne pouvait que séduire Nan pour sa ballade, pour ses errances, celles
du passé et celles à venir : ce son, c'est son son, ce sang, c'est son sang. Après une courte pause, l'écran derrière eux
s'illuminant, son et sang mêlés coulèrent à flot, accompagnant les centaines
d'instantanés de vies faites de mort, de sexe, de dope, de rires, de larmes,
pendant quarante-cinq trop courtes minutes ressuscitant le passé et qu'on
voudrait éternelles...