Bien qu’ayant annoncé
de longue date l’exposition du Musée d’Orsay consacrée au nu masculin,
pressentie comme l’événement artistique de la rentrée 2013, Lilith ne s’y
précipita pas et attendit la récente prolongation pour s’y rendre.
Elle ne fut ni déçue ni
enthousiasmée face à ce melting-pot de l’homme nu à travers les âges, où cohabitent (si l’on peut dire) la beauté grecque antique et
le kitsch apollonien de Pierre et Gilles, à son goût (trop) démesurément
représentés. Si de belles œuvres furent exposées, comme le bronze d’Arno
Brecker – archétype de la beauté « aryenne » – sa proximité, pour ne
pas dire promiscuité, avec la
vulgarité d’une photographie géante de trois footballeurs en chaussettes,
baskets et quéquette à l’air, enfroufroutée d’un cadre en poilou-poilou bleu blanc rouge,
laissait à – ne pas – désirer.
C’est ainsi que
l’émouvant corps en déclin du vieux Job de Léon Bonnat, les nus rachitiques d’Egon Schiele, la très sadomasochiste Flagellation
du Christ de Bouguereau, le
satanique Ange déchu de
Cabanel, ou l’Atlas de
Sterrer, pour ne citer qu’eux, étaient le plus souvent en bien mauvaise
compagnie. Que celle-ci fût masculine ne suffit pas à donner à l’exposition une
réelle cohérence.
Car enfin, quel était
le but de pareil assemblage ? Certainement pas de pallier l’absence de
consécration de la beauté plastique masculine. La diversité de ses
représentations au cours des siècles démontre aisément qu’elle n’a jamais été
mise en doute. Il s’agissait plutôt d’offrir aux homosexuels une exposition
toute tournée vers l’objet de leur désir. Mais c’était aussi les prendre pour ce
qu’ils ne sauraient être : de rustres consommateurs d’hommes à poil,
incapables, dans un musée ou ailleurs, de découvrir et d’apprécier un corps
masculin sans qu’on leur mette le doigt dessus.
En leur intimant :
« allez, regardez bien, LÀ, c’en est un ! ».
L’égalité devant la mort de Bouguereau
À présent, donc, que ce
non-événement a pris fin, ils feront comme ils ont toujours fait, à savoir
s’arrêter – loin d’une foule agglutinée et empressée – devant des nus d’hommes sublimes, dont certains, comme L’égalité
devant la mort de Bouguereau ou L’école
de Platon de Delville, font
partie de la collection permanente du Musée d’Orsay. Ce dernier tableau – qui
clôturait l’exposition – va enfin retrouver sa salle n°59, son dôme vitré et la
compagnie ordinaire de Sérénité, L’âge d’or ou L’amour
et la vie, avec qui il s’entend
bien mieux. Lilith va pouvoir s’y recueillir comme par le passé, et lire à
Platon et ses disciples la nouvelle érotique qu’ils lui ont inspirée, et dont
voici (dans l’attente de sa publication prochaine) un court extrait :
« Il
manquait quelque chose d’essentiel au sacrement qui se préparait, une sorte de
fluide magique auquel aucune entrée, même la mieux protégée, ne saurait
résister. Mais également capable, dans les remous et les tourbillons, d’éviter
l’affouillement fatal du creusement des eaux à la butée des rives,
fussent-elles les plus fragiles.
Abderrazak
regarda autour de lui et aperçut au loin, abritées derrière un rang de cyprès,
une foultitude de ruches dressées au milieu d’un champ en contrebas.
– Il nous faudrait du miel, dit-il. »
Lilith Jaywalker, L’école de Platon in Recto/Verso (à
paraître)
L’école de Platon (détail)