Après le suicide
de sa soeur Barbara à 18 ans, tout juste sortie d'HP, morte de l'interdiction
parentale d'aimer, d'aimer un jeune black, elle, la petite bourgeoise blanche
de la banlieue de Boston, Nan, alors pré-adolescente, choisit de s'enfermer
dans le mutisme.
Dès lors, elle
ne communique que par images interposées. Le regard qu'elle porte sur le monde
parle pour elle et le monde ne sera plus jamais vu autrement qu'à travers
l'objectif et le prisme de cet événement fondateur, cette prise de conscience brutale
de la puissance du désir, des forces magnétiques des corps qui s'attirent, de
l'affrontement perpétuel d'Éros et Thanatos. Nan n'a jamais eu de préférence
pour l'un ou l'autre, sa soeur s'étant pleinement offerte aux deux au nom de sa
liberté, comme un crachat lancé à la gueule de ses parents, qui durent ensuite composer
avec le monstre magnifique qu'ils avaient engendré à leurs corps défendant : LA Nan Goldin.
Certains la
diront voyeuse, nourrie d'une spectaculaire complaisance pour le glauque, mais
c'est mal la connaître. Nan est une viveuse,
une diva no-limit qui avale sans
trier tout ce que la vie porte à ses lèvres, elle ne se ménage pas et n'ira jamais
se plaindre que la bouchée était trop grosse, que l'élixir n'était que poison,
ou que sous la douce langue du baiser se lovait une lame tranchante... Elle ira
discrètement se cacher pour recoudre ses plaies, celles de son âme, de son
coeur, de son corps et celles des âmes, des coeurs, des corps de ses ami(es)
morts, qu'elle chérit comme des vivants. Elle incarne la beauté cicatricielle du corps-offrande,
sacrifié à la dépendance sexuelle, la dépendance aux paradis artificiels, la
dépendance du corps aimant dans un monde malfaisant.
Lors des
premières projections de sa ballade, dans
les squats de Kreuzberg début 1984, c'était tout un bazar, des centaines de
diapos à trier, des dizaines de carrousels à mettre en place et le fondu enchaîné
à caler avec la musique d'alors : une compilation éclectique (Comme ils disent d'Aznavour, le Velvet, James Brown, etc) enregistrée sur
une bande magnétique. Le résultat était superbe, puissant... Au point que
Lilith n'imaginait pas possible qu'un autre accompagnement sonore pût se
glisser avec bonheur dans l'univers goldinien. C'est donc avec une curiosité
mâtinée de méfiance que Lilith s'est rendue à la Philarmonie de Paris pour
assister à cette refonte filmée de Ballad
of the Sexual Dependency, accompagnée d'un concert du groupe anglais The
Tiger Lillies.
Que dire ? Si ce n'est que Nan a retrouvé une voix, pour ne pas dire SA voix. Celle de Martyn Jacques, très haute, à la fois cristalline et rauque, une voix de femme portée par un corps trapu, un tantinet ventru, un visage maquillé en clown triste de film d'horreur et un chapeau melon planté jusqu'au milieu du crâne : un bouffon à la Orange Mécanique. Un répertoire à la hauteur du monde selon Nan : mélange de Kurt Weill, de musique klezmer et d'influences tziganes. Parfois au piano, Martyn Jacques est accompagné d'un contrebassiste dégingandé : Adrian Stout, dandy en costume Deschiens qui manie aussi la scie musicale, et d'un stupéfiant batteur percussionniste : Jonas Golland, qui caresse ses instruments plus qu'il ne les bat. The Tiger Lillies nous plongèrent d'abord, une heure, dans leur univers expressionnisto-punk, nous offrant une ode aux bas-fonds londoniens, avec des personnages hauts en douleurs, poussés à leur paroxysme, dans un excès baroque, tragi-comique et mortifère qui ne pouvait que séduire Nan pour sa ballade, pour ses errances, celles du passé et celles à venir : ce son, c'est son son, ce sang, c'est son sang. Après une courte pause, l'écran derrière eux s'illuminant, son et sang mêlés coulèrent à flot, accompagnant les centaines d'instantanés de vies faites de mort, de sexe, de dope, de rires, de larmes, pendant quarante-cinq trop courtes minutes ressuscitant le passé et qu'on voudrait éternelles...
Que dire ? Si ce n'est que Nan a retrouvé une voix, pour ne pas dire SA voix. Celle de Martyn Jacques, très haute, à la fois cristalline et rauque, une voix de femme portée par un corps trapu, un tantinet ventru, un visage maquillé en clown triste de film d'horreur et un chapeau melon planté jusqu'au milieu du crâne : un bouffon à la Orange Mécanique. Un répertoire à la hauteur du monde selon Nan : mélange de Kurt Weill, de musique klezmer et d'influences tziganes. Parfois au piano, Martyn Jacques est accompagné d'un contrebassiste dégingandé : Adrian Stout, dandy en costume Deschiens qui manie aussi la scie musicale, et d'un stupéfiant batteur percussionniste : Jonas Golland, qui caresse ses instruments plus qu'il ne les bat. The Tiger Lillies nous plongèrent d'abord, une heure, dans leur univers expressionnisto-punk, nous offrant une ode aux bas-fonds londoniens, avec des personnages hauts en douleurs, poussés à leur paroxysme, dans un excès baroque, tragi-comique et mortifère qui ne pouvait que séduire Nan pour sa ballade, pour ses errances, celles du passé et celles à venir : ce son, c'est son son, ce sang, c'est son sang. Après une courte pause, l'écran derrière eux s'illuminant, son et sang mêlés coulèrent à flot, accompagnant les centaines d'instantanés de vies faites de mort, de sexe, de dope, de rires, de larmes, pendant quarante-cinq trop courtes minutes ressuscitant le passé et qu'on voudrait éternelles...
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