jeudi 31 mars 2016

Décadentisme printanier


« Après les fleurs factices singeant les véritables fleurs, il voulait des fleurs naturelles imitant des fleurs fausses…

 
 

… Ces plantes sont tout de même stupéfiantes, se dit-il ; puis il recula et en couvrit d'un coup d'œil l'amas ; son but était atteint, aucune ne semblait réelle ; l'étoffe, le papier, la porcelaine, le métal, paraissaient avoir été prêtés par l'homme à la nature pour lui permettre de créer ses monstres.

 
 

Tout n'est que syphilis, songea des Esseintes, l'œil attiré, rivé sur les horribles tigrures des caladiums que caressait un rayon de jour. Et il eut la brusque vision d'une humanité sans cesse travaillée par le virus des anciens âges. Depuis le commencement du monde, de pères en fils, toute les créatures se transmettaient l'inusable héritage, l'éternelle maladie qui a ravagé les ancêtres de l'homme, qui a creusé jusqu'aux os maintenant exhumés des vieux fossiles !

 
 

Elle avait couru, sans jamais s'épuiser à travers les siècles ; aujourd'hui encore, elle sévissait, se dérobant en de sournoises souffrances, se dissimulant sous les symptômes des migraines et des bronchites, des vapeurs et des gouttes, de temps à autre, elle grimpait à la surface, s'attaquant de préférence aux gens mal soignés, mal nourris, éclatant en pièces d'or, mettant, par ironie, une parure de sequin d'almée sur le front des pauvres diables, leur gravant, pour comble de la misère, sur l'épiderme, l'image de l'argent et du bien-être !

 
 

Et la voilà qui reparaissait, en sa splendeur première, sur les feuillages colorés des plantes ! »

 

(Huysmans, A rebours


mardi 8 mars 2016

Où sont LA femme ? (Prélude à l'Internationale féministe)




Moins les féministes sont nombreuses, cibles des feux croisés de leurs multiples ennemi(es), et plus les féminismes prolifèrent. Au rythme où vont les « choses » (entendre : les êtres aliénés ne cherchant leur salut que dans ce qui les sépare), il y aura bientôt autant de féminismes que de femmes, l'idéologie libérale, à la fois guide et sauveur suprême placé au sommet de l'organigramme, laissant volontiers pousser, sur ses branches inférieures, toutes les autres idéologies, à commencer par les monothéismes, tant que la main invisible de dieu ne s'emploie pas à écraser la paluche du marché.
La multiplication de ces féminismes (MLF, Gouines Rouges, Queer, Antigone, Femmes en Lutte nouvelle version, abolitionnistes, pro-sexe, no-sexe...), dont Lilith s'épargnera de dresser une liste exhaustive – aussi longue et inutilement variée que celle des produits laitiers trônant au rayon frais des temples du capitalisme – n'a d'autre fonction que celle de séparer la femme d'elle-même, de la morceler, voire de noyer la réalité de sa propre existence dans un sophisme genré.
Ainsi l'offre est abondante, et selon à quel sein la femme veut se vouer – puisqu'il s'agit de prendre acte de l'expression de sa volonté – elle choisira un féminisme plutôt qu'un autre, selon sa classe, la mode, la saison (le sens du vent ?), le refus ou l'acceptation consciente de son aliénation, ou encore sa propension masochiste à l'auto-discrimination. La particularité de tous ces féminismes, c'est que bien que les uns soient les parfaites antinomies des autres, tous prétendent aboutir à la libération de la femme. Celles qui ne vivent pas dans un présent éternel se souviendront que Moulinex, en son temps, se targuait de libérer la femme des taches ménagères grâce à la fée électricité, avec le même cynisme que le voile, aujourd'hui, est censé la libérer de la chosification de son corps et des assauts libidineux des mâles en rut. 
Admettre l'idée qu'il puisse y avoir autant de féminismes que de femmes, c'est admettre que LA femme n'existerait pas, et par voie de conséquence, échapperait à toute approche universelle. C'est refuser une quelconque matérialité commune au sujet du féminisme et le réduire à une simple illusion menant donc un combat tout aussi illusoire. 
Cette analyse, défendue par le féminisme Queer, concède tout juste la réalité incontestable du sexe, et tire de cette concession une contribution à former ce qu'il reconnaît, donc à participer du sexisme. En refusant à la fois l'existence d'une catégorie appelée « femme », au motif que se serait rêver un sujet pur, non assujetti au pouvoir des normes, et celle « des femmes » en tant que sujets de la lutte, au risque d'exclure du pluriel certaines femmes (racisées, par exemple), le féminisme Queer anéantit toute perspective émancipatoire. Il se refuse à nommer le sujet de l'oppression, donc son existence, et s'il concède à le nommer, il confère au mot la première manifestation d'une soumission à la norme dominante censée être combattue.
C'est ainsi que le féminisme socio-constructiviste des genres, en faisant des femmes des abstractions, et en niant le fait que l'absence de société dans le monde où elles ne sont pas en situation d'infériorité et vivent en parfaite égalité – réelle et pas formelle – avec le sexe opposé, leur confère un point commun qui tend vers une certaine universalité, rejoint le point de vue libéral, conférant à chaque individu une spécificité qu'il conviendrait de revendiquer, et d'exalter au détriment de ce qui rapproche. Le rejet de l'existence possible d'un quelconque dénominateur commun entre toutes les femmes, déterminant l'origine de leur oppression et, partant, la perspective de leur libération, est en effet de même nature que le rejet, plus global, de l'existence des classes sociales et donc, d'une possible universalité des luttes.
Ainsi l'abondance pléthorique des féminismes valide et pérennise ce monde où les femmes sont ensemble en tant que séparées, au même titre que le reste de l'humanité. 
De ce constat, Lilith tire l'idée selon laquelle, à l'instar des situationnistes qui ont su se protéger de l'idéologie des « ismes » en réfutant la possibilité d'un « situationnisme » survivant à leur propre disparition, il serait temps que les féministes – pour libérer la femme de son oppression spécifique universelle – commencent par se libérer du carcan des idéologies, et proposent de déclarer, ce 8 mars 2016, la naissance de l'Internationale Féministe !
L'idée d'une Internationale Féministe impliquerait – enfin – de s'interroger sur l'essence d'une féministe, sur ce qui la définit intrinsèquement, en dehors de toute idéologie. 
La discrimination dont fait l'objet la femme, résultant précisément de l'appartenance à son sexe, à l'évidence, pour Lilith, être féministe commence par ne pas chercher à s'en défaire, à morceler son corps pour ne garder que ce qui serait acceptable – du point de vue dominant – c'est à dire un corps débarrassé de l'objet du délit à l'origine de sa discrimination.
Pour Lilith, il n'y a pas plus de féministe pro-sexe ou no-sexe, que de féministe pro-cerveau ou écervelée. Seule est féministe celle qui refuse de se scinder, de s'aliéner une quelconque partie d'elle-même, et surtout pas son sexe, au seul motif – conscient ou inconscient – qu'il est la cause de tous ses emmerdements. 
« L'économie règne sur le corps en le châtrant de sa totalité sexuelle » (Raoul Vaneigem, Le livre des plaisirs). Elle le prolétarise, en séparant d'un côté le corps productif, de l'autre le corps reproductif. 
De la même manière qu' « il n'y aura pas d'émancipation du prolétariat sans émancipation réelle des plaisirs » (id.), il n'y aura pas d'émancipation de la femme dans un « en dehors » des plaisirs...

(Réflexions inspirées par la lecture du Désert de la critique, de Renaud Garcia, p. 124 à 136 : Le féminisme Queer, ou la subversion du pouvoir des normes.)