dimanche 4 septembre 2016

Ici, heureuse comme nullipare


« Le comte et la comtesse de Savigny ne voyagent point ; ils viennent quelquefois à Paris, mais ils n’y restent que quelques jours. Leur vie se concentre donc tout entière dans ce château de Savigny, qui fut le théâtre d’un crime dont ils ont peut-être perdu le souvenir, dans l’abîme sans fond de leurs cœurs…
– Et ils n’ont jamais eu d’enfants, docteur ? – lui dis-je. 
– Ah ! – fit le docteur Torty, – vous croyez que c’est là qu’est la fêlure, la revanche du Sort, et ce que vous appelez la vengeance ou la justice de Dieu ? Non, ils n’ont jamais eu d’enfants. Souvenez-vous ! Une fois, j’avais eu l’idée qu’ils n’en auraient pas. Ils s’aiment trop… Le feu, – qui dévore, – consume et ne produit pas. Un jour, je le dis  à Hauteclaire :
« – Vous n’êtes donc pas triste de n’avoir pas d’enfants, madame la comtesse ?
» – Je n’en veux pas ! – fit-elle impérieusement. J’aimerais moins Serlon. Les enfants, – ajouta-t-elle avec une espèce de mépris, – sont bons pour les femmes malheureuses ! »

(Barbey d’Aurevilly, Le bonheur dans le crime)

1 commentaire:

  1. Le bonheur est dans le crime, certes, mais plus encore dans la non-procréation.

    Vous êtes une véritable amazone des eaux et forêts profondes, Dame Lilith.

    Quand tout s'écroulera, vous galoperez encore des millénaires durant sur les ruines luxuriantes, en compagnie des chèvres immortelles.

    Mes plus fuligineux et caprins hommages.

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