mardi 17 mars 2015

Hard corps

 
(Ruine, Made in costland.)

Samedi 14 mars, fin d'après-midi, Ruine décroche ses tableaux, et Lilith se rend chez Fatalitas pour récupérer celui qui lui revient. Sur place, un paquet l'attend : quelques doux Amer (6ème du nom), des cartes postales de LMG, et le dernier-né des Âmes d'Atala : Théorème de l'assassinat, de Jean Streff.
Lilith embarque le tout dans un grand sac en plastique à rayures – spécial exode, ou fin du monde – qu'elle pose immédiatement dans le bar d'en face, le temps de s'en jeter un, deux trois, quatre, pour la route... Puis, son cabas bien en main, elle file chez un ami cuisinier qui l'honore d'un repas fin. Ajoutez à cela qu'il s'agit de retrouvailles après quinze ans d'absence, et vous comprendrez que les bouchons sautent jusqu'à l'aube, au même rythme effréné que les langues se délient et les souvenirs remontent à la surface.
Le retour se fait dans un trou noir –  genre faille spatio-temporelle – mais au réveil, le sac est là, qui trône au pied du lit.
Lilith n'a pas mal au crâne, elle n'a plus de crâne ; pas davantage mal au ventre ou au coeur. Elle est dans un ailleurs de son corps, qui – par ailleurs – prendrait quand même bien un café. Dans un ralenti à la Peckinpah, elle accomplit tout le rituel du matin – à trois heures de l'après-midi – et pas peu fière, se remet au lit, et décide qu'aujourd'hui, elle ne le quittera pas.
Elle tire à elle le sac plein de promesses, découvre avec plaisir les dessins de LMG, et dévore d'une seule traite le Théorème de l'assassinat.

 
 (LMG, Chair(e) de poule 16, dessin, sang et graphite, 2013.)

Dévorer, c'est ça ! Ce livre relève du cannibalisme, ou révèle à qui le lit le cannibale qui est en lui. Un texte au pouvoir étrange, qui fit – dès les premiers mots – poser la main droite de Lilith sur son sexe, sans jamais la retirer, jusqu'à la dernière ligne ; pour se rassurer ou pour s'exciter, les deux sans doute, ou peut-être rien de tout ça, juste l'évidence d'une jonction instantanée de l'esprit et du corps. Une prose qui travaille le lecteur(trice) comme un pallium cérébral, la torture résidant dans le fait de ne jamais savoir où l'on se situe, entre le voyeur, le complice ou le bourreau. L'envie que ça cesse, que ça continue, que ce soit pire, que ce pauvre gosse s'en sorte, ou qu'il s'enfonce. Un peu la même impression que celle qu'avait faite à Lilith le film Calvaire de Fabrice Du Welz : de la gêne, mélée de délectation... Bien sûr, il y est question d'assassinat et, même si l'on retrouve l'obsession de Rodion, "héros" de Dostoïevski, dans Crime et châtiment : cette peur de se trahir tout seul, le crime – ici – n'est pas crapuleux, ou plutôt, si, il l'est, mais comme une sieste alors... L'assassinat n'est pas ciblé, "de toute façon tu t'en moques : l'âge, le sexe, la race, la beauté, la situation sociale, la religion de la victime t'importent peu. Ce que tu veux, c'est tuer, n'importe qui, mais tuer. Agir enfin."
Jean Streff règle ici ses comptes. Ce n'est pas UNE vie qu'il assassine, c'est LA vie, et chacun est à même de l'incarner. Il plonge sa plume dans le sang, pour le plus grand plaisir de celles et ceux qui se laisseront emporter par l'onirisme de ses descriptions hallucinatoires, où le crime parfait semble élaboré sous trip.
Théorème de l'assassinat est une oeuvre dyskinésique, les illustrations de Richard Laillier (pierre noire et gomme magique) parachevant le malaise. Un livre qui fait appel à tous les sens, dans tous les sens. Peut-être est-ce cela le livre réel : le graal de Mallarmé, enfin découvert par Jean Streff, le mal aimé !

En librairie : 11 €. 
Ailleurs : prix libre.






2 commentaires:

  1. La main droite d'une sainte femme est plus créative encore que tous les beaux-arts assassins.

    D'ailleurs, il est l'heure: au lit.

    Mes hommages depuis l'hors sol, dame Lilith, toutes chèvres égales par ailleurs.

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  2. D'autant que cette main peut aussi assassiner …

    Mes sanglants hommages, Marquis.

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