Quand, au milieu des années 70, syndicalisme et gauchisme encartés connaissaient, en France, leur heure de gloire, perçaient des bandes de révoltés ne se retrouvant, certes, dans rien de connu, mais entendant néanmoins exister.
Naissait l'Autonomie, mouvement protéiforme et composite, éclaté façon puzzle sur tout le territoire et au-delà de ses frontières, sans programme établi, sans représentant et sans chef, mais capable, sur une simple proposition ou un mot d'ordre, de se regrouper quasi-instantanément et de refaire corps, là aussi façon puzzle, comme si chacun de ses membres avait une pratique innée ou ancestrale de ces actions communes.
Malheureusement, les décennies suivantes laissèrent peu de place à l'action directe. La montée de la gauche parlementaire sur le podium de l'Elysée fut le premier des leurres : désormais cela pouvait – et devait donc nécessairement – passer par les urnes, les traîtrises qui s'ensuivirent étant toujours à relativiser face à la menace de la peste brune, sans cesse agitée devant nos têtes comme un épouvantail. S'ils continuèrent d'exister, notamment à travers les squats, s'ils firent même quelques émules, les autonomes ne parvinrent jamais à sortir de l'entre-soi. Les contre-sommets altermondialistes des années 2000 les remirent en selle et les black blocks rappelèrent aux flics et autres services d'ordre leur goût certain pour les débordements...
Dans un même temps, les centrales syndicales oeuvraient méthodiquement à enterrer toutes les luttes, assumant sans complexe leur rôle de partenaires sociaux, si bien qu'à peine parvenu au trône, Macron méprisa tout simplement ces décors intermédiaires en imposant sa réforme travail par simples ordonnances. Mais, sous le règne de son prédécesseur, les zadistes montrèrent l'exemple d'un autre mode de vie possible et, dans les manifs contre la loi El Khomry, nous assistâmes à une nouvelle configuration des cortèges, marqueurs de la déconfiture syndicale programmée : les non-organisés, jusqu'ici relégués en fin de manif ou très loin devant, prirent la tête des cortèges et – progressivement – ce carré de tête, teinté de noir, vit fleurir des drapeaux multicolores brandis par des syndicalistes de base, dégoûtés, mais bien décidés à donner une tout autre allure à leurs déambulations. On y vit de plus en plus de monde, hommes et femmes, tous âges confondus, étudiants, travailleurs, chômeurs ou précaires en rupture de banderole, pas nécessairement prêts à en découdre physiquement, mais soutenant, par leur seule présence, la légitimité des possibles emportements des plus exaltés.
L'année 2016 s'acheva par la défaite du mouvement et à l'approche des présidentielles et législatives de 2017, toutes celles et ceux qui refusaient de voter se virent encore accusés de faire le lit de l'extrême droite. Une fois de plus, peu importait que le choix se résumât à la peste ou au choléra, que les votes blancs ne soient pas comptabilisés, qu'il n'y ait pas de proportionnelle, que les référendums ne soient pas respectés, que les mandats ne soient ni impératifs ni révocables, que la démocratie directe n'existe pas, au profit de cette démocratie libérale représentative insupportable... Macron fut élu et sa gueule de premier de la classe nous fut imposée en prétendu rempart contre le fascisme (rires). Sa théorie de "l'en-même-temps-de-gauche-et-de-droite" côtoya celle de "l'en-même-temps-de-gauche-et-raciste" des racialistes et autres adeptes de la transversalité. L'année 2018 s'enfonça dans un triste déni des utopies de 1968 et l'anniversaire prévu laissait peu à peu sa place à un enterrement annoncé quand d'un coup, au crépuscule de l'année fatidique surgit l'inespéré, l'improbable, l'inattendu, l'inventif, l'audacieux, le rebelle mouvement des gilets jaunes : chacun de ses membres ne représentant que lui-même, mais se battant pour tous. Sous le gilet jaune, il n'y a plus de sexe, d'âge, de couleur ni de race, plus de beaux ni de laids, mais un seul visage : celui de l'émeutier, auquel chacun se plaît à ressembler. Certains crurent au retour de Fantomas, mais c'était – ENFIN – celui de la lutte des classes !
Merci aux gilets jaunes et bien creusé vieille taupe !
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