(Photographie : Lilith Jaywalker)
« Il regardait, étonné, ce chaos de plantes et d'arbres. Depuis combien de temps ce jardin était-il laissé à l'abandon ? Çà et là, de grands chênes élancés de travers se croisaient et, morts de vieillesse, servaient d'appui aux parasites qui s'enroulaient entre eux, s'embranchaient en de fins réseaux serrés par des boucles, pendaient, tels que des filets aux mailles vertes, remplis d'une rustique pêche de frondaisons ; des cognassiers, des poiriers se feuillaient plus loin, mais leur sève affaiblie était inerte à procréer des fruits. Toutes les fleurs cultivées des parterres étaient mortes ; c'était un inextricable écheveau de racines et de lianes, une invasion de chiendent, un assaut de plantes potagères aux graines portées par le vent, de légumes incomestibles, aux pulpes laineuses, aux chairs déformées et suries par la solitude dans une terre en friche.
Et un silence qu'interrompaient parfois des cris d'oiseaux effarouchés, des sauts de lapins dérangés et fuyants planait sur ce désordre de nature, sur cette jacquerie des espèces paysannes et des ivraies, enfin maîtresse d'un sol engraissé par le carnage des essences féodales et des fleurs princières.
Mélancoliquement, il songeait à ce cynique brigandage de la nature si servilement copié par l'homme. »
(Huysmans, En rade)
Superbe.
RépondreSupprimerJ'étais à peu près dans le même état d'esprit hier soir, après avoir oeuvré à quatre pattes sous les vitres de la serre à tomates.
En marchant dans le jardin, je sentais qu'il deviendrait vraiment beau quelques années après ma mort, quand on le laisserait en paix : il (re)deviendrait fou.
Anarchiques et potagères pensées.
Quel dilemme, Marquis ! Entre l'émotion que susciterait votre jardin en folie, et celle accompagnant votre disparition, vous nous mettez devant un choix cornélien …
RépondreSupprimerOeuvrez-donc encore longtemps à quatre pattes, comme vos jolies cornues.
Mes vivants hommages